Ton enfant rentre de l’école la tête basse. Il ne veut plus y retourner. Il se fait insulter, bousculer, humilier. Tu sens qu’il est harcelé. Ton premier réflexe ? Foncer voir le directeur, convoquer les parents du harceleur, ou pire, intervenir toi-même dans la cour de récré.
Stop.
Et si ces réactions, aussi légitimes soient-elles, aggravaient la situation ? Et si, sans le vouloir, tu renforçais la position de victime de ton enfant au lieu de l’aider à s’en sortir ?
Le harcèlement scolaire touche des milliers d’enfants chaque année en France. Face à cette réalité, les adultes se sentent souvent démunis. Et les chiffres le confirment : 60% des collégiens pensent que les adultes ne savent pas gérer le harcèlement. Ils ont peut-être raison.
Alors comment faire autrement ? Comment aider ton enfant harcelé sans empirer les choses ? C’est ce que nous allons voir ensemble.
Pourquoi nos interventions d’adultes aggravent souvent la situation
Le piège de la sur-protection
Quand ton enfant souffre, ton instinct parental te pousse à intervenir immédiatement. C’est normal. Mais voilà le problème : en te précipitant pour le défendre, tu envoies un message implicite aux autres enfants : “Il ne peut pas se défendre tout seul, il a besoin d’un adulte.”
Résultat ? La position de victime se renforce. Les harceleurs savent qu’ils ont trouvé une cible. Et ton enfant, malgré ton intervention, reste vulnérable.
L’illusion des cours d’empathie et de gentillesse
De nombreux établissements scolaires mettent en place des “cours de gentillesse” ou des programmes d’empathie pour lutter contre le harcèlement. L’intention est louable. Mais ces dispositifs partent d’un postulat erroné : les harceleurs manqueraient d’empathie.
La réalité est tout autre. Les enfants qui harcèlent ne sont pas dénués d’émotions. Ils savent parfaitement ce qu’ils font. Le problème n’est pas un manque de sensibilité, mais une dynamique de groupe et de pouvoir.
Pire encore : ces cours renforcent l’idée que la victime doit être “gentille” et “compréhensive”. On lui demande de tendre l’autre joue. Mais dans une cour de récréation, la gentillesse seule ne protège pas. Au contraire, elle peut être perçue comme de la faiblesse.
Punir le harceleur : une fausse bonne idée ?
Tu te dis peut-être : “Il faut sanctionner le harceleur, c’est évident !” Oui… et non.
Bien sûr, certains comportements doivent être punis. Mais se focaliser uniquement sur la punition du harceleur ne résout rien pour ton enfant. Une fois l’adulte parti, que se passe-t-il ? Le harceleur peut se venger. Les autres enfants peuvent prendre le relais. Et ton enfant reste dans la même position : celle de la victime désignée.
La vraie question n’est pas “Comment punir le harceleur ?” mais “Comment aider mon enfant à sortir de cette position de victime ?”
L’approche de l’école de Palo Alto : changer la posture de l’enfant harcelé
Comprendre le système relationnel
L’école de Palo Alto, un courant de thérapie brève développé aux États-Unis, propose une approche radicalement différente du harcèlement scolaire. Plutôt que de se concentrer sur le harceleur, elle s’intéresse à la dynamique relationnelle en jeu.
Le harcèlement n’est pas seulement le fait d’un “méchant” qui s’attaque à un “gentil”. C’est un système où chacun joue un rôle : le harceleur, la victime, les témoins, les adultes. Et c’est en modifiant cette dynamique qu’on peut sortir du cercle vicieux.
Concrètement, cela signifie : changer la posture de l’enfant harcelé pour qu’il ne soit plus perçu comme une cible facile.
Sortir du rôle de victime
Attention, il ne s’agit pas de blâmer la victime. Ton enfant n’est en rien responsable du harcèlement qu’il subit. Mais il peut apprendre à réagir différemment pour déstabiliser ses harceleurs.
Comment ? En changeant sa manière de répondre aux attaques. Au lieu de montrer qu’il est blessé (ce qui nourrit le harceleur), il peut apprendre à répondre avec humour, distance ou indifférence.
Exemple concret : un enfant se fait traiter de “bouffon” dans la cour. Sa réaction habituelle ? Baisser les yeux, rougir, s’éloigner en silence. Résultat : l’insulte fait mouche, et elle sera répétée.
Nouvelle réaction possible : “Ah bon ? Merci de me prévenir, je savais pas !” dit avec un sourire désarmant. Le harceleur ne s’attend pas à ça. Il perd son pouvoir.
L’humour comme arme de défense
Tu te dis peut-être : “Mon enfant n’est pas drôle, il ne saura jamais faire ça.” Détrompe-toi. L’humour, ça s’apprend. Et c’est l’une des compétences psychosociales les plus puissantes pour se protéger du harcèlement.
Pourquoi l’humour fonctionne-t-il ? Parce qu’il inverse le rapport de force. Celui qui répond avec humour montre qu’il n’est pas atteint. Il reprend le contrôle de la situation. Et surtout, il devient moins intéressant pour le harceleur, qui cherche avant tout une réaction émotionnelle forte.
L’objectif n’est pas de devenir un humoriste, mais de développer cette capacité à prendre du recul, à dédramatiser, à ne pas se laisser déstabiliser.
Réseaux sociaux et harcèlement : arrêtons de nous tromper d’ennemi
Le réflexe de confiscation : une fausse solution
Ton enfant se fait harceler sur les réseaux sociaux. Messages insultants, photos humiliantes, exclusion de groupes… Ta première idée ? Lui confisquer son téléphone pour le protéger.
Erreur.
En confisquant son téléphone, tu l’isoles encore plus. Tu le coupes de ses amis, de ses sources de soutien, de ce qui se passe dans son groupe. Et tu renforces son sentiment d’impuissance : non seulement il est harcelé, mais en plus, il perd son lien avec les autres.
Pire : le harcèlement continue sans lui. Les messages circulent, les rumeurs se propagent, et lui n’a plus aucun moyen de savoir ce qui se dit ni de se défendre.
Les réseaux sociaux ne sont pas le problème
Beaucoup de parents pensent que les réseaux sociaux sont la cause du harcèlement. C’est faux. Les réseaux sociaux sont un outil, pas une cause.
Avant Internet, le harcèlement existait déjà. Les enfants se faisaient insulter, exclure, humilier dans les cours de récréation, à la sortie de l’école, dans les vestiaires. Les réseaux sociaux n’ont fait que déplacer et amplifier ce qui existait déjà.
Le vrai problème, ce n’est pas Instagram ou Snapchat. C’est la dynamique relationnelle entre les enfants. Et cette dynamique, elle se joue d’abord dans la vraie vie, à l’école, au collège.
Accompagner plutôt qu’interdire
Alors que faire ? Au lieu de confisquer le téléphone, accompagne ton enfant dans son usage des réseaux sociaux.
Voici quelques pistes concrètes :
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Parle avec lui de ce qui se passe. Demande-lui ce qu’il voit, ce qu’il ressent, comment il réagit.
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Aide-le à prendre du recul. Rappelle-lui que ce qui se dit en ligne n’est pas toujours la réalité.
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Apprends-lui à bloquer, signaler, ne pas répondre aux messages insultants.
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Valorise ses relations positives. Encourage-le à rester en contact avec ses vrais amis, ceux qui le soutiennent.
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Montre-lui que tu es là, sans juger, sans paniquer, sans confisquer.
Ton rôle n’est pas de le protéger de tout, mais de lui donner les outils pour se protéger lui-même.
Les mots qui blessent : décrypter le langage des cours de récré
Pourquoi “bouffon” est si puissant ?
Dans les collèges, certaines insultes ont un pouvoir dévastateur. “Bouffon” en fait partie. Mais pourquoi ce mot fait-il autant de dégâts ?
Parce qu’il ne désigne pas un défaut physique ou une caractéristique personnelle. Il attaque directement la valeur sociale de l’enfant. Être traité de “bouffon”, c’est être désigné comme celui dont on se moque, celui qui n’a pas sa place dans le groupe.
Et cette désignation est terrible pour un enfant ou un adolescent, dont le besoin d’appartenance est fondamental.
Apprendre à répondre aux insultes
Face à une insulte, ton enfant a plusieurs options :
- Ne rien dire → Le harceleur recommence, car il voit que ça marche
- Pleurer ou montrer qu’il est blessé → Le harceleur est satisfait, il a atteint son but.
- Répondre par une insulte → L’escalade commence, et souvent, c’est la victime qui est punie.
- Répondre avec humour ou distance → Le harceleur est déstabilisé, il perd son pouvoir.
La quatrième option est la plus efficace. Mais elle demande de l’entraînement. C’est là que tu peux intervenir, en jouant des scénarios avec ton enfant à la maison, en lui proposant des répliques, en l’aidant à trouver son propre style.
Ce que tu peux faire concrètement dès aujourd’hui
1. Écoute sans juger
Quand ton enfant te parle de ce qu’il vit, résiste à l’envie de minimiser (”C’est pas grave, ça va passer”) ou de dramatiser (”Je vais aller leur dire deux mots !”). Écoute. Vraiment. Laisse-le exprimer ce qu’il ressent.
2. Ne te précipite pas à l’école
Avant de foncer voir le directeur ou les parents du harceleur, demande-toi : “Est-ce que cette intervention va aider mon enfant ou le fragiliser davantage ?” Parfois, il vaut mieux l’aider à trouver ses propres solutions.
3. Travaille sur sa posture
Aide ton enfant à développer sa confiance en lui. Pas en lui répétant qu’il est génial (ça, il le sait déjà, ou pas), mais en lui donnant des outils concrets : apprendre à répondre, à s’affirmer, à ne pas se laisser déstabiliser.
4. Entraîne-le à l’humour et à la répartie
À la maison, jouez des scènes. Tu joues le harceleur, il s’entraîne à répondre. Testez différentes répliques. Rigolez ensemble. L’objectif : qu’il se sente prêt le jour où ça arrive.
5. Valorise ses compétences psychosociales
Le harcèlement se nourrit des failles. Plus ton enfant développe ses soft skills (confiance en soi, gestion des émotions, communication, créativité), moins il sera une cible facile.
6. Reste vigilant sans être envahissant
Garde un œil sur ce qui se passe, mais sans espionner. Montre-toi disponible, à l’écoute, sans être intrusif. Ton enfant doit sentir qu’il peut te parler sans que tu paniques.
Ce qu’il faut retenir
✔️ Les adultes aggravent souvent le harcèlement en intervenant trop vite ou mal.
✔️ Les cours d’empathie ne suffisent pas : la gentillesse seule ne protège pas.
✔️ Changer la posture de l’enfant harcelé est plus efficace que punir le harceleur.
✔️ L’humour et la répartie sont des armes redoutables contre le harcèlement.
✔️ Confisquer le téléphone n’est pas la solution : accompagne plutôt ton enfant dans son usage des réseaux sociaux.
✔️ Ton rôle n’est pas de protéger ton enfant de tout, mais de lui donner les outils pour se défendre.
Le harcèlement scolaire est un fléau. Mais il n’est pas une fatalité. En changeant notre regard et nos pratiques, en aidant nos enfants à développer leurs compétences psychosociales et leur confiance en eux, nous pouvons les aider à sortir de cette spirale.
Pas besoin d’être parfait. Juste d’être présent, à l’écoute, et prêt à les accompagner autrement.



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